jeudi 4 décembre 2008

Comment je n'ai pas pu assister au procès Politkovskaia

Сinq journalistes de la presse étrangère sont debout près du tourniquet. Trois Espagnols, un Allemand et moi, venue mercredi couvrir le procès des complices de l'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa pour Rue89. L’attaché de presse du tribunal militaire de Moscou nous a proposé d’attendre un peu, puis a disparu.

Les secondes passent comme des heures. "Je viens ici chaque jour, mais aujourd'hui, on ne me laisse pas passer aujourd’hui", dit le journaliste de l'hebdomadaire Die Zeit. Sa confrère espagnole est elle optimiste: "On va me laisser passer, c’est sûr.".

L’attaché de presse ne descend pas. Puis le gardien nous annonce qu’il y a plus de places dans la salle. "Mais c’est injuste", s'exclame la jeune femme. "A quoi bon assister aux audiences, c’est très ennuyant", répond le gardien.

Des complices, mais pas d'assassin ni de commanditaire

Le procès autour du meurtre d'Anna Politkovskaia qui a commencé le 19 novembre 2008, a ses particularités. On juge les complices supposés de l’assassinat, mais on ne peut pas trouver et arrêter l’assassin; on a annoncé que le procès serait public, mais on ne laisse pas passer les journalistes avec les cameras, les appareils photo et la plupart de reporters étrangers.

Le mercredi précédent, j'étais dans la même pièce, cette fois comme assistante d'une équipe de France 2, et on ne nous a pas non plus laissé passer. Une foule de cameramans et des journalistes de télévision se massait dans le hall du tribunal.

Les derniers arrivés ne voyaient rien et ont fini de monter sur un banc qui se trouve près du mur. Du hall, on ne voyait que l’escalier couvert de tapis rouge. Chaque personne qui passait par cette escalier suscitait une agitation énorme: "Filme vite, peut-être cette personne va nous dire quelque chose concernant le procès!" Les fonctionnaires qui descendaient s'enfuyaient tout de suite, en jetant des regards effrayés aux journalistes.

Une journaliste qui couvrait la Tchétchénie et le Daguestan

Ces derniers sont venus ici pour faire leur travail, mais aussi pour rendre hommage à une confrère admirée. Diplômé de la faculté de journalisme de l'université d'Etat de Moscou (celle où j'étudie moi-même), Anna Politkovskaia a travaillé en presse écrite. Pour le journal russe Novaïa Gazeta, elle a fait des reportages en Tchétchènie et au Daguestan, où elle a couvert la prise des otages à l'école de Beslan en 2004.

On a d'abord tenté de l'empoisonner pendant un voyage en avion. Trois ans plus tard, le 7 octobre 2006, on l'a tué près de sa maison à Moscou.

Onze personnes figurent parmi les suspects de ce crime. Mais seulement quatre ont été accusés: Ibragim et Djabrail Mahmudov, Sergey Hagikurbanov et Pavel Riagusov. Les frères Mahmudov sont accusés d'avoir aidé l'assassin, Hagicurbanov d'avoir fait les intermédiaires entre le tueur et le commanditaire, et Pavel Riaguzov d''avoir fait chanter la journaliste.

"Je crois que mes enfants ne sont pas coupables"

Selon Vera Tchelicheva, journaliste de Novaïa Gazeta qui a, elle, pu assister à l'audience de mercredi, la cour a évoqué de la culpabilité des frères Mahmudov. Les poils qu’on a trouvé sur le pistolet sont les mêmes que ceux d’un fauteuil de la voiture Vaz 2104 qui a appartenu aux frères Mahmudov. On a interrogé qautre temoins, mais les propos de deux d'entre eux, parents des accusés, ne sont pas recevables juridiquement.

"Je ne sais pas qu’est ce qu’il faut faire pour obtenir une justice, mais je crois que mes enfants ne sont pas coupables": Zalpa Mahmudova, la mère des frères Djabrail et Ibragim Mahmudov assiste à chaque séance du procès. Elle a six enfants et trois d’eux sont accusés. On suppose que le troisième, Ruslan Mahmudov, qui se cache à l’etranger, est l'assassin. Les journalistes se détournaient pour ne pas regarder la mère, son visage souffrant et ses yeux désespérés.

Ce mercredi, l'audience s'est déroulée dans le calme. Une semaine auparavant, la question du maintien ou non du juge chargé du procès agitait les esprits. Le 25 novembre, le procureur a en effet demandé la récusation de Vladimir Zubov parce qu’il avait destitué l’un des jurés. Ce dernier, Evgeniy Kolesov, avait osé démentir la déclaration du juge, qui avait expliqué que les jurés insistaient pour que le procès se tienne à huis clos.

Après une heure de suspens, on apprenait que Vladimir Zubov continuerait à diriger les débats."Ce n'est pas étonnant, le juge devait décider lui-mème, s'il restait ou non", explique Vera.

"Si ça continue comme ça, le procès va durer six mois!"

Mercredi, Vera a aussi remarqué que les avocats étaient agités, particulièrement Murad Musaev, avocat des frères Mahmudov, qui se distingue par son franc-parler. Il a notamment expliqué à la journaliste de France 2: "Si nous menons toutes les séances comme celle d'aujourd’hui, le procès va durer six moix", a declaré Murad Musayev.

Son collègue Valerii Tchernikov a dit qu’il n'a absolument pas compris la position du ministère public. "D’abord le procès était à huit clos, puis le juge a annoncé qu’il sera public…" "Maintenant, les journalistes de la presse écrite peuvent assister aux séances, donc, tout va bien", déclare Tchernikov en nous souriant ironiquement.

A ma question concernant le vrai assasin de Politkovskaia, Vera a repondu: "Vous voulez savoir ce que je pense? On a trouvé ni l'assassin ni le commanditaire de ce crime. Mais le procès continue, et si on continue, ça va peut-être porter ses fruits".

Les reporters ne sont pas les seuls à s'intéresser à ce procès sans pouvoir entrer dans la salle d'audience: "Ce procès est examiné à la loupe par le pouvoir présidentiel", affirme Zoya Svetova, journaliste de Noviye Izvestia. Mais ce ne seront plus les journalistes qui les informeront du déroulement des débats: jeudi, a cour finalement décidé le huis clos.


Daria Krayushkina

Photo: Anna Politkovskaya en 2004 (Tatyana Zelenskaya/Wikipedia).

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