jeudi 4 décembre 2008

A la télévision, Poutine se passe d'une presse sous pression


Ce jeudi, le premier ministre va répondre une nouvelle fois aux questions des citoyens russes. En se livrant à cet exercice en direct à la télévision chaque année, Vladimir Poutine entend se montrer plus proche de la population. Mais cette intervention va se dérouler cette année dans un contexte toujours plus défavorable aux journalistes.

Alexandre Minkin, journaliste au service politique du grand quotidien populaire russe Moskovsky Komsomolets, est très critique envers le pouvoir. L'auteur des "Lettres au président" (un éditorial de "MK" très lu) l'a décrit, avec une grande liberté de parole, à Radio France:

"Il ne reste que deux journaux libres, dit-il, Novaïa Gazeta et MK. Mais le premier pratique une opposition frontale. Le second, en revanche, est lu par tout le monde, du Kremlin aux simples chauffeurs de taxi."


Minkin est convaincu que s’il peut exprimer ses idées dans le journal, c’est grâce au rédacteur en chef, Pavel Gousev, qui a le courage, selon lui, de ne pas avoir peur de faire ce qu’il considère comme du bon journalisme. Minkin raconte qu’il y a quelquefois des coups de téléphone du Kremlin, et que parfois, "ils injurient".

"Le rédacteur en chef était accablé, mais il a reconnu que le dessin était bon"

L’exemple le plus récent, c’est une caricature signée Alexeï Merinov, le dessinateur du journal. Poutine, déguisé en général, berce sur ses genoux le petit Tsar Medvedev. L’auteur du dessin, Merinov, explique:

"C’est un de mes dessins qui est passé, à ma grande surprise, il n’y a pas longtemps. Le rédacteur en chef n’était pas là. Le lendemain matin, d’un air accablé, il a pris sa tête entre ses mains et il a dit 'oh la la!', mais il a reconnu que le dessin était très bon."


La réaction du pouvoir aux caricatures de Merinov est toujours la même: le pouvoir ne les aime pas.

"Dans quelques journaux il est interdit de dessiner Medvedev et même des ours [le nom de Medvedev vient du mot russe "ours", ndlr]. Moi, je peux dessiner Medvedev et Poutine", dit Merinov. Et il ajoute:

"Ce n’est pas moi personnellement qui prends le risque. C’est le journal. J’ai pitié de Gousev, qui, très souvent, se fait remonter les bretelles en haut lieu. C’est un grand risque pour lui. Le prix du papier peut augmenter, on peut avoir des difficultés."


"Les questions qui ne sont pas posées sont plus intéressantes"

Selon Minkin, personne ne sait précisément, quand la patience de pouvoir sera épuisée. Aujourd’hui, on peut passer chaque moment. "Les temps ont changé", dit Merinov:

"Je me souviens de ce que je faisais a l’époque de Eltsine. Je ne dessinerais pas ça aujourd’hui parce que je sais que ça ne passerait pas. Je mettrais le rédacteur en chef dans une position inconfortable.

Il y a quelque temps il est entre dans mon bureau, il a regardé mon dessin et il m’a dit: 'Non, Liosha, ça ne passera jamais'."


Selon Minkin, ce qui intéresse les gens n’intéresse pas le pouvoir. Durant l’émission de Poutine, il estime que c’est le pouvoir qui se pose les questions à soi-même. "Mais pour moi les questions qui se sont pas posées sont les plus intéressantes."

Dans son discours à la Nation, le 5 novembre dernier, Medvedev n’a pas dit un mot du racisme, des juges, qui décrètent sans raison le huis-clos pour certains procès, des agressions terribles contre les journalistes qui, comme Pavel Gousev, essayent de faire leurs métiers. Quoi qu’il en soit, le 4 décembre ne sera pas le jour de la vérité, si ce jour vienne jamais en Russie.

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