samedi 13 décembre 2008

Au grand bazar des espions russes, on réhabilite les « tchékistes »


Le 4 novembre, l’exposition « 90 ans de service de renseignements » a ouvert au Musée central des forces armées à Moscou. Les visiteurs sont invités à y découvrir « les pages héroïques et tragiques de l'histoire des services secrets, les archives uniques révélant les noms des traîtres et des espions, la lutte du Smersh [le contre-espionnage, ndlr] pendant la Seconde Guerre mondiale, les destin des tchékistes russes», à en croire les nombreuses annonces diffusées par les médias.

Pourtant, l'exposition n'occupe qu'une petite salle. Une semaine après l'ouverture, pendant la semaine, il n’y a pas grand monde. Selon les employés présents, pendant le week-end, c’était plein.

Antonina raconte l'ambiance pendant l'inauguration :
« C'était un grand moment. Beaucoup de gens du FSB [successeur du KGB, ndlr], la moitie d'entre eux ne pouvaient donner leurs noms, leur activité devant rester secrète. »
Parmi les merveilles exposées, le masque mortuaire de Dzerjinsky (le fondateur de la Tchéka) et sa serviette en cuir brun, le costume d’Hitler et
pistolet de Goebbels et d'autre armes, prisées des garçons. (La moitié de ce qui est présenté appartient au musée.)

Sur les murs sont accrochées des portraits de tchékistes, accompagnés de courtes biographies, d'un dizaine de lignes seulement. Les organisateurs expliquent :
« C’est tout ce qu’on a eu le droit d'écrire pour le moment. Peut-etre dans dix ans, on pourra ajouter quelques lignes. »
Les employés du musée ont en effet préparé l'événement sous le contrôle étroit du FSB, avec moult vérifications. Certains visiteurs sont repartis sous le charme, l'un d'eux, le général-colonel Sobolev (secrétaire-adjoint du conseil de sécurité russe), écrit dans le livre d'or :
« Votre travail est un apport sérieux et important à l'éducation de la jeune génération dans l'esprit des meilleures traditions russes. »
D'autres ne sont pas convaincus. Le colonel Gogotov écrit ainsi :
« Ça ne me plait pas de voir affichées des photos de traîtres. Il aurait mieux valu consacrer plus l'espace aux explications sur les opérations. »
C'est là la grande déception de cette expo, qui ne présente pratiquement pas de documents nouveaux ou d'archives intéressantes sur le travail des services secrets. C'est une version de l'histoire centrée sur des personnages populaires, sur lesquels la télévision russe produit aussi des films, dévoilant leur vie privée ou retraçant leurs histoires d'amour.

Pourtant la répression menée par le KGB, son ancêtre le NKVD ou le Parti communiste et leurs nombreuses victimes font partie des plus terribles aspects du régime soviétique. Et les jeunes Russes ne mesurent pas toujours très bien ce qu'a vécu la génération de leurs parents et celle de leurs grand-parents.
La présentation adoptée au Musée central des forces armées a donc de quoi surprendre. Le mot « tchékiste » suscitait jusqu'ici des associations négatives, était synonyme de quelque chose dangereux et menaçant.
Ainsi, Marina, un professeur, attend beaucoup plus de transparence :
« Pas des objets sortis du musée, mais bien dest documents permettant d'éclairer l'histoire. Peut-être les jeunes s'intéressent-ils plus facilement à l'histoire ainsi, ça permet des les emmener au musée. Mais en tant que professeur, je n'ai rien vu d'intéressant. »
Anatoli, retraité :
« Je visite régulièrement le musée, il y a toujours une excellente exposition. Mon père a fait toute la guerre, il est allé jusqu’à Berlin. Nous avons de nombreuses cartes postales de front et son plus grand trophée : un pistolet allemand.

Mais la seconde partie, je n'ai pas aimé. Yagoda, Beria [deux dirigeants du NKVD, ndlr], Dzerjinsky - nous avions peur de prononcer même ses noms, pourtant ici ils sont présentés sous un jour très positif. »
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