jeudi 11 décembre 2008

Mr Parker : « Sur Internet, personne ne peut t'interdire de parler »


La Douma a finalement renoncé à examiner un projet de loi autorisant les autorités à fermer des sites Internet pour des propos racistes, extrémistes ou des appels à la violence. Mais cette initiative parlementaire a relancé le débat autour de la liberté d’expression sur le Net russe.

Si dans les journaux, la critique de l’Etat, du Président ou du Premier ministre, et en général la façon d’aborder les sujets politiques sont l'objet de toutes les attentions, « aujourd’hui, sur Internet, tu peux dire tout qui n’est pas interdit par le code pénal russe », estime Mr Parker, alias Maxime Kononenko, blogueur très connu et pro-Poutine convaincu.

« Personne ne peut t’interdire de parler, mais après chacun doit prendre ses responsabilités », résume-t-il. Entretien.

Est-ce que vous pensez qu’aujourd'hui on peut se faire arrêter pour avoir critiqué le pouvoir sur Internet ?

Non, pas du tout. Si un membre des institutions de l’Etat pense que tu as porté atteinte à sa réputation, il peut te poursuivre en justice ; mais franchement, c'est très rare.

Et l'affaire du blogueur membre d’un groupe extrémiste et qui, selon Anton Nosik [bon connaisseur de la culture Internet russe, ndlr], a été poursuivi après avoir publié un montage-photo de Poutine déguisé en skinhead ?

C’est l’opinion de Nosik. Ce blogueur a été jugé pour des propos racistes, pas pour avoir attenté à l’image de Poutine. Il existe beaucoup de collages de ce genre avec Poutine, dont une dizaine que j'ai fait moi-même, par exemple, et personne n’a jamais protesté.

Et vous-même, est-ce que vous avez eu des commentaires négatifs du pouvoir ?

A deux reprises, on m’a dit ouvertement qu’ils n’étaient pas contents. La première fois, c’était les gens de Ioukos [compagnie pétrolière dont l'ex-président a été emprisonné, ndlr] quand je me suis moqué un peu de la situation de leur société.

La seconde fois, c’était Victor Shendorovitch [un écrivain satirique, ndlr], qui n’a pas aimé ma petite histoire sur lui, et a mis un commentaire très sarcastique dans son livre sur les élections à la Douma. Du côté du pouvoir, je n’ai jamais vécu d'expériences désagréables.

Est-ce vous pensez qu’on ne doit pas réglementer l’Internet ?

Réglementer, non. On doit contrôler, surveiller, mais pas intervenir au quotidien. Par exemple, c’était évident que cette loi proposée à la Douma ne passerait pas. Aujourd'hui Internet est mieux connu, mais il y a encore beaucoup d'aspects que les parlementaires ne maitrisent pas, d'où l'absence de législation en la matière.

Vous pensez que nous n’aurons jamais un réseau restreint, comme en Chine ?

Vous savez, ce qui est étrange, c’est que ces grands firewalls [« pare-feu », dispositif technique qui permet de filtrer à grande échelle les sites jugés indésirables, ndlr] qui sont installés en Chine, on a commencé à les expérimenter dans d’autres pays, mais pas en Russie !

Moi, je sais qu’il y a des « firewalls » qui sont expérimentés en Australie, un pays dit libre… Mais je crois qu’un jour tout le monde les installera, c’est une question de défense nationale. Et peut-être, en cas de guerre, il faut les activer, comme l'a fait la Géorgie par exemple : cet été, ils ont fermé tous les noms de domaine russes ! Le reste du temps, je ne vois pas l'intérêt de ces firewalls.

Vous croyez que le Net russe et les médias sont et seront complètement libres ?

La question de la liberté de la presse est en fait très compliquée. C’est très difficile d’imaginer qu’un « Kremlin » quelconque donne des instructions à tous les médias. Si on peut croire bien sûr que certains au Kremlin ont des contacts avec les directeurs des chaînes fédérales, c’est impossible qu’ils soient en contact avec un journal de Barnayl [une ville de la république d'Altaï, ndlr], par exemple.

Oui, mais ce n’est pas un secret que le Kremlin a téléphoné plus d’une fois à la rédaction du quotidien Moskovsky Komsomolets et « injurié » Minkin [l’éditorialiste, ndlr]...

Oui, mais le Kremlin est mécontent et injurie Gousev [le rédacteur en chef, ndlr] après la publication de l’article de Minkin. La censure, c’est quand le Kremlin lit l’article de Minkin avant que Gousev le publie. Mais il y a plein de journaux qui écrivent leurs articles selon la ligne politique du parti au pouvoir, alors que personne ne le leur demande.

Et si on ne suit pas cette ligne, comme Beketov et d’ autres, on se fait agresser...

A mon avis, pour Beketov, ce sont des bandits, c’est tout. C’est lié à l'affaire de la forêt de Khimki. Il empêche quelqu’un de déforester, on l’ agresse, c’est normal. Mais en Russie, il y a toujours des scandales avec les agressions de journalistes, parce qu’ils ne sont pas vraiment protégés.

Et c’est pourquoi peut-être on ne veut pas écrire d’articles critiques ?

Bien sur, car on finit par penser « Pourquoi ? Est-ce que j’ai besoin de ça ? Est-ce que demain je vais être passé à tabac par un bandit ? ». Mais tout ça, c’est à cause de la situation totalement catastrophique des services intérieurs de l’Etat.

Est-ce que vous pensez que cette liberté d’expression arrivera un jour dans tous les medias, pour tous les journalistes ?

Pourquoi pas. On doit simplement d’arrêter d’avoir peur. On ne peut pas tuer tous les journalistes.

Photo : Mr Parker (DR)

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