lundi 8 décembre 2008

Les communistes de Saint-Pétersbourg veulent canoniser Staline

La petite église orthodoxe de Strelna, dans la banlieue de Saint-Pétersbourg, a accueilli oeuvre d'art d'un goût discutable : une icône représentant Staline à côté de sainte Matrona de Moscou. C'est le doyen de l'église, le prêtre Evstafi, qui l'a accrochée à l'intérieur.

Les autorités ecclésiastiques n'ont pas tardé à réagir et ont fait retirer le "petit père des peuples" des murs de l'édifice. Face aux critiques, le prêtre a annoncé qu'il allait renoncer à exercer.

L'icône a été commandée par Alexandre Evseev, un businessman. Elle montre la rencontre de Joseph Staline avec la bienheureuse Matrona de Moscou, censée avoir eu lieu à l'automne 1941, quelques mois après le début de l'invasion nazie.

La sainte aurait conseillé à Staline de rester à Moscou, alors que les Allemands étaient aux portes de la ville, et lui aurait prédit la victoire du peuple russe.

"J'ai commandé cette icône parce que pour moi, Staline est un grand homme politique qui a gagné la guerre contre les nazis et créé l'Union soviétique", a expliqué à l'AFP Alexandre Evseev. L'homme dit l'avoir offerte en témoignage "de l'amour et du respect" qu'il ressent pour ce lieu de culte et son prêtre Evstafi.

"On a canonisé Nicolas II, pourquoi pas Staline ?"

Mais l'histoire ne s'arrête pas là : les communistes de Saint-Pétérsbourg ont proposer d'aller encore plus loin, en canonisant Staline.

Pour Véronika Klinovitskaya, attaché de presse des communistes de Saint Pétérbourg, rien de saugrenu dans l'idée de faire de Joseph Vissarionovitch Djougachvili (le vrai nom de Staline) un saint :
"Nous avons pris cette décision pendant la réunion du comité central, parce que nous souhaitons répondre à une demande de la société.

C'est vrai que notre parti était pendant soixante-dix ans celui des athées. Mais désormais, nous nous revenons aux sources du marxisme-léninisme, quand les communistes étaient extrêmement tolérants. Nous avons même dans notre bureau une reproduction de cette icône."

Et les répressions sanglantes menées par Staline pendant son règne à la tête de l'URSS ?
" Les répressions, c’était une nécessité, il n'avait pas le choix. Tout le monde parle des répressions, mais c’est lui qui a réussi à amener le pays à un niveau extraordinaire. Sous Staline, la Russie comptait.

On avait tellement des succès en science, notre niveau de développement dépassait celui des pays occidentaux. C'est sous Staline que nous avons lancé Spoutnik [le premier satellite artificiel, ndlr].

Le plus important, c'est la Seconde Guerre mondiale : c’est Staline qui a arrêté Hitler. Et puis on a canonisé Nicolas II, qui a aussi commis des meurtres, alors pourquoi pas Staline ?"

"On avait peur de nous."

La demande a cependant peu de chances de convaincre les responsables de l'église orthodoxe, comme le rappelle Novyé Izvestia, dans un article repris par Courrier international. L'archiprêtre Mikhaïl Ardov, supérieur de l'église du Saint-Tsar-martyr-Nicolas à Moscou, y explique :
"Ces demandes de canonisation et tout ce que nous voyons à la télé, ces personnes âgées qui vont manifester en brandissant à la fois des portraits de Staline et des icônes orthodoxes sont affolantes. Elles sont le signe que les gens ont complètement perdu le sens des réalités."

La réaction de Veronika Klinovitskaya montre que la nostalgie envers le régime soviétique reste vivace, et témoigne de l'attachement des Russes à l'idée d'un Etat fort. Véronika Klinovitskaya rappelle que la Russie était La Sixième Partie du monde (titre d'un film de Dziga Vertov, en référence à la superficie du pays) : "On avait peur de nous."

Certes, la popularité du dirigeant soviétique est un peu en baisse depuis la fin 2007, selon le centre sociologique de Levada). Selon leurs derniers données, il peut compter sur 39% de symphatisants, contre 53% en 2003.

Mais Staline reste une figure-clé dans le débat public russe. Au printemps 2008, la chaîne d’Etat Rossiya a lancé le projet "L'homme de la Russie. Le choix historique". Les internautes doivent choisir la pérsonnalité historique la plus populaire et la plus symbolique, celle qui incarne le mieux la Russie.

Le concours a fait scandale quand, au milieu de l’été, Staline a pris la première place du classement. Aujourdhui, il reste parmi les premiers (le vote se termine bientôt).

Ce sont surtout les jeunes, n'ayant pas vécu au temps de l'URSS et ne connaissant pas grande chose sur la vie soviétique, qui ont voté pour Staline. Ils savent seulement ce qui est inscrit dans les nouveaux manuels d'histoire, dans lesquels Staline apparaît comme "un manager efficace", la répression étant considérée comme "l'instrument du développement du pays".

Olga Alissova

Photo de Mikhaïl Bakhman. Le prêtre Evstafi avec l'icône de Sainte Matrona de Moscou.

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