lundi 8 décembre 2008

Alexandrov : « Les écrivains russes sont plus libres que les journalistes »


Deux des plus importants événements de la saison littéraire russe viennent de se dérouler. Vladimir Makanine, écrivain russe très connu, vient de remporter le prix Grand livre avec son roman Asan, tandis que c'est le jeune auteur Mikhaïl Elizarov qui a été primé par le jury du prix Booker russe pour son roman Le Bibliothécaire.

Au-delà de la qualité des ouvrages primés, cette sélection révèle qu'en Russie, il est bien plus facile de s'exprimer dans les pages d'un livre que dans les colonnes d'un journal.

Les deux livres qui ont été décernés sont très différents. Asan est un ouvrage qui aborde la seconde guerre de Tchétchénie (qui début en 1999), Le Bibliothécaire évoque les fans de l'écrivain soviétique Mikhail Gromov. Cependant, les critiques relèvent une similitude entre ces romans : ils seraient tous les deux aussi mal écrits.

"Le Bibliothécaire, de Elizarov, est écrit dans une langue effacée et morte", estime la critique Maia Kutcherskaya. Quant à Asan, son collègue Nikolai Alexandrov considère que le livre manque de créativité. Le jury a selon lui reconnu avant tout "une grande importance sociale" au travail de Makanine.

Nikolai Alexandrov parle désormais de "politique littéraire" en matière de remise de prix. Nous avons souhaité lui demander ce qu'il pensait de l'évolution de la scène littéraire russe. L'écrivain russe peut-il toujours écrire ce qu'il veut ?

Qu'appelez-vous par "politique littéraire" et que voulez-vous exprimer par là ?

С'est la tentative d'évaluer la littérature sous l'aspect de l'importance sociale et non pas de la valeur artistique. Si nous prenons l'exemple du prix Grand Livre, décerné à "Asan", les jurés ont été écrasés par l'importance du prix, ce qui a déterminé le résultat du vote.

Le jury commence par se demander "qu'est-сe qu'un grand livre ?" Ils s'orientent alors sur les attentes du public mais non pas sur le texte lui-même. Bien sûr, ce n'est pas bien.

Mais cette politique littéraire existe aussi en France où les prix récompensent aussi des maison d'édition. Au moins, là-bas, on sait qu'elles ont une influence. Ce phénomène peut également être observé en Russie.

Nous avons vu comment les grandes maisons d'édition comme Ast, Azbuka et Eksmo ont mis en avant leurs écrivains. Pour elles, la lutte a déjà commencé. Mais jusqu'à présent il n'y a pas encore de lobbying sur les membres du jury, ou d'autres pressions de ce genre.

Existe-t-il un sujet à ce qui est mieux de ne pas écrire ?

Il y a bien sûr des sujets sensibles, comme la violence, le trafic de drogues. On se souvient de la fermeture de la maison d'édition Ultrakultura, de Ilia Kormiltsev, qui publiait beaucoup de livres sur ces thèmes, ainsi que des ouvrages plus politiques (ce sont les services de lutte anti-drogues qui ont obtenu la fermeture de Ultrakultura, connue pour publier des oeuvres anticormistes, ndlr).

Il faut quand même relever que Vladimir Makanine écrit librement sur la guerre en Tchétchénie. Je pense qu'aujourd'hui la littérature est plus libre que les médias. Le critique littéraire Lev Danilkin affirme, non sans raison, que les années 90 en Russie ont été mieux décrites par les livres que par la presse.

Y a-t-il des pressions du gouvernement sur la littérature?

La censure du gouvernement n'existe pas. Il y a des pressions des fonctionnaires et des entreprises, mais le gouvernement s'ingère rarement dans la littérature. Les éditeurs sont très libres, n'importe quel écrivain est plus libre qu'un journaliste.

L'assassinat d'Anna Politkovskaya l'illustre bien. Quand un journaliste menace les intérêts des fonctionnaires ou des hommes d'affaires, il est en danger. Il y a des exemples dans le monde entier.

Les écrivains peuvent quant à eux publier un auteur comme Vladimir Sorokine. Dans son dernier livre, Sugar Kremlin, la satire est à peine dissimulée par des pseudonymes tout à fait reconnaissables. Rien ne se masque.

A l'époque soviétique, de tels livres n'auraient jamais été publiés mais maintenant c'est possible. Valeri Panyushkin publie ainsi un livre décrivant la chute de l'oligarque Mikhail Khodorkovski (emprisonné depuis 2004 pour vol et évasion fiscale, ndlr). Il a travaillé dans la revue New Times, sans être inquiété.

Le cas d'Edouard Limonov [fondateur du Parti national-bolchévique, ndlr] est différent. Ses livres sont imprimés, mais ses activités politiques sont interdites. Il appelle à la rébellion armée, c'est un autre combat.

Photos : Nikolai Alexandrov (Irina Vaague/Moscou89).

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